Par amour de Montmartre et de la course à pied

J’ai rencontré André Duval le jour de la disparition de Johnny Hallyday. J’avais rejoint Marne-la-Coquette pour déposer une rose à la sortie du bureau, lui y était depuis le matin, sans rien manger ni boire. Le Monde l’avait montré tenant son drapeau à l’effigie du Patron. Il l’a replié et nous sommes allés prendre un verre.

André était garçon de café à la Brasserie Hoche. Son métier lui a déjà permis de servir son idole. Il est également lié à son autre passion : la course à pied. André a soixante marathons au compteur, tous courus plateau en main dans la tenue de sa corporation. Bientôt septuagénaire, il est l’un des hommes de l’ombre derrière les Foulées du Tertre, une épreuve en forme de triple boucle dans les ruelles pavées de Montmartre. André m’a glissé sa carte. Nous étions le 5 décembre et l’hiver allait m’obliger à ranger le vélo. C’était l’occasion de recommencer à courir en vue de la trentième édition.

J’ai repris le long des Berges avec pour seul objectif de varier les plaisirs sans me blesser. Les jeunes de Jolie Foulée m’ont encouragé. 6h45 à la Rotonde de Stalingrad, voilà leur régime ! Heureusement, c’était donnant donnant : je les accompagnais en semaine et ils venaient rouler le week-end. Le grand jour est arrivé rapidement.

Alors que les cyclistes professionnels faisaient venir le printemps de Milan à Sanremo, je me suis apprêté à clore cet interlude avec mon premier dossard. Ironie du sort, l’hiver s’accrochait comme pour illustrer un certain dicton populaire. J’aurais eu bien besoin d’une peau d’ours pour attendre le départ, mais il me fallait encore courir. La neige tombait sans perturber le garçon en chemisette qui tenait sans broncher le gâteau des 30 ans des Foulées. Sur la ligne tracée devant les marches du Sacré-Cœur, les gens souriaient, comme s’ils n’en revenaient pas de se retrouver dans cette situation. André est arrivé sur son scooter. Lui non plus n’avais jamais vu ça. Au coup de feu, ce fut le saut vers l’inconnu. Milan à Sanremo

Comment était le parcours ? Les pavés glissaient-ils ? J’ai rapidement regretté d’avoir négligé le travail en côte et les fractionnés. D’une ruelle à l’autre, les changements de rythme constants tenaient davantage de la correction en règle que du running. Le long faux plat de la rue Caulaincourt était un supplice. Au premier tour, je n’y voyais plus rien. Le public, lui, se rendait bien compte de la situation et ne manquait pas de nous encourager en conséquence.

J’ai enlevé mes lunettes, et retrouvé un rythme plus personnel jusqu’à ce que nous ne soyons plus qu’un petit groupe de trois dans le sillage d’une courageuse. Elle a repris la brigade des Sapeurs Pompiers qui s’était elle même prise avec humour dans l’effondrement de l’arche gonflable de l’arrivée.

La course a continué à se décanter dans le martellement singulier des semelles rembourrées battant les pavés. Une dernière côte derrière le Sacré-Cœur et le tour était joué. Une sympathique retraitée m’a médaillé et j’ai attrapé une bouteille de Powerade en regrettant que ce ne soit pas du vin chaud.

Autour du stand de quartiers d’orange, les gens commençaient à se changer sous l’oeil médusé des touristes. « Ça a été ? » m’a demandé André. Je lui ai souri en levant le pouce dans mon gant détrempé.

Quelques jours plus tard, nous échangions autour d’un café. André a découvert la course à pied lors de son service militaire chez les paras. En 1988, avec quelques amis policiers réunis au sein de l’Athletic Club Police 18, ils reprennent une course délaissée par la mairie de leur arrondissement. Les Foulées du Tertre sont nées. A l’époque, André court tous les week-ends, parfois même les deux jours.

Remarqué pour sa tenue de garçon de café, il ouvre le Marathon de Paris et le voilà invité de New-York à Londres. Sedan-Charleville et Marvejols-Mende ont souvent ses faveurs, tout comme les 20 km de Maroilles et leur incroyable public.

La course à pied a déjà le vent en poupe mais reste encore une affaire familiale. C’est un microcosme où tout le monde se connaît, où l’on se tape sur l’épaule en se doublant et où l’on fait la fête après l’épreuve. Les Foulées ne sont pas en reste avec leur repas campagnard et les amis musiciens qui contribuent à relancer la cadence jusqu’au tirage de la tombola. Le gros lot ? Une entrée chez Michou, dans le temple des nuits Montmartroises.

C’est un peu de cela que j’étais venu chercher ici, dans ce décor qui fait rêver les japonais sans jamais lasser les parisiens que l’on dit pourtant si blasés. Je sais bien qu’un chrono sur une épreuve de référence comme le Semi de Paris aurait fait son petit effet dans les dîners, mais j’ai aimé couronner cette préparation hivernale par cette course amicale, avec de bons athlètes parmi les montmartrois venus par tradition.

Il manquait peut-être un stand où trouver quelques nourritures grasses en guise de goûter mérité – voire une tartiflette vu les circonstances – mais c’est là que nous avons un rôle à jouer en tant que coureurs, bénévoles ou dilettantes. Cultivons notre jardin et nos épreuves de quartier. Courons-les, aidons-les et réinventons-les s’il le faut. Ainsi, nous pourrons rendre à André son invitation.

Après 30 ans de bénévolat par amour de Montmartre et de la course à pied, il aurait bien le droit de mettre les pieds sous la table, et ce n’est pas avec le nombre de brasseries locales qui ouvrent aujourd’hui que nous aurons du mal à trouver des partenaires pour lui servir à boire !