3 JOURS DANS LA MÉTROPOLE INTERMÉDIAIRE LA PLUS ATTRACTIVE DE FRANCE

1er jour

Clermont-Ferrand a été élue « métropole intermédiaire la plus attractive de France ». Peu importe les critères qui entrent en compte dans le classement, le prétexte semblait suffisant pour y faire un tour et juger de l’essentiel : y est-on heureux, en selle et en dehors ?

Si l’Auvergne a déjà été qualifiée de Californie Française – certes sans la mer – grâce à sa politique de New Deal qui aide financièrement les personnes désirant s’y installer, elle l’est indéniablement pour quelques figures du vélo français. C’est là que se sont établis les Cycles Victoire, fleuron du renouveau de l’artisanat cycliste, mais également la rédaction du magazine 200 le Vélo de Route Autrement, l’éditeur de Cyclist France, l’équipe de Warsaw Cycling et bientôt le distributeur 2-11 qui y déménage actuellement ses stocks de pneus Compass. Alors, Clermont-Ferrand est-elle le paradis des cyclistes ?

Comme l’on prend le RER pour rejoindre sa routine, j’attrape le train à 7h en Gare de Bercy. En 3h41, on a le temps de déplorer qu’il n’y ait pas de TGV mais cela permet de travailler sans être dérangé. Tout juste arrivé, je saute en selle pour rejoindre l’atelier des Cycles Victoire à Beaumont. J’y retrouve Julien Leyreloup qui présente à l’objectif de Bertrand Trichet les dernières créations de son équipe. Il y a là des machines de guerre en inox, une randonneuse de concours agrémentée de coupleurs permettant de démonter le cadre en deux parties pour le ranger dans une valise classique, un VTT attendant son futur propriétaire et quelques prototypes.

Loin du monde de l’artisanat, l’Auvergne est actuellement à l’honneur grâce au régional de l’étape : Romain Bardet. Le troisième du dernier Tour de France y retrouve ses routes d'entraînement dès que les courses et les stages lui en laissent le temps et partage ses sorties sur Strava. Sa dernière virée en date me tentait. Matthieu Perrusset, responsable marketing & communication chez Victoire, nous a suggéré quelques petites modifications et nous sommes partis. Chaque année, il y a une sortie où l’on sent que l’on entre de plain-pied dans la fin de saison. Le vent est glacial, les gants sont indispensables et les surchaussures ne seraient pas un luxe, mais quelque chose nous pousse à sortir et l’on est toujours récompensé : les arbres vire au rouille, les vaches ont l’air de peluches avec leur pelage d’hiver et le soleil plus bas gratifie ce décors d’une lumière avantageuse. Nous grimpons vers le Col de la Croix-Morand. Pas un chat sur les routes, mais les ondulations des puys sont un émerveillement. Au col, nous nous engouffrons dans le buron pour nous réchauffer d’un chocolat. Par la fenêtre, nous observons les randonneurs et autres traileurs qui dévalent une sente noire de roche volcanique. Il gèle au sommet. Bardet vient souvent ici, pas toujours pour une tarte aux myrtilles mais au moins pour remplir ses bidons. Pierre Rolland a également craqué pour la région est ses routes d’un asphalte idyllique. Les deux grimpeurs ont bonne réputation et posent volontiers en compagnie des cyclos locaux. Le jour baisse et nous repartons les mains en bas. C’est vrai que le bitume est parfait.

Notre hôtel est dans une ruelle entre la place de Jaude et la rue des Gras qui mène à la cathédrale, dans le centre névralgique de la ville. Le lundi soir n’est pas le meilleur pour sortir mais nous retrouvons l’équipe de Victoire et leurs dames pour une gentiane au Dicken's. Saïd est le président des Bad Wizards, le club de supporter du Clermont-Foot, autant dire un sacerdoce en terre de rugby. Il nous accueille en nous désignant le jukebox dans lequel il reste le crédit de deux chansons. Les enceintes crachent, les verres s’entrechoquent et nous confions nos premières impressions. De Salers en Avèze, il est déjà 22h30 et nous n’avons quasiment aucune chance de trouver un endroit où dîner. Seul un restaurant pour touriste peut encore nous ouvrir ses portes. L’aligot a le goût de purée Mousseline et en terme d’ail tout le monde à la fève, mais peu importe, il nous reste deux jours pour nous rattraper.

2e jour

Dans l’imaginaire collectif, Clermont c’est Michelin et ce n’est pas tout à fait faux tant la manufacture de pneumatiques a façonné la ville. L’Aventure Michelin est le musée qui retrace cette histoire. Je m’attendais à un truc obscur ou ringard mais la visite se révèle passionnante pour tous les âges et tous les centres d’intérêt.

Le cyclisme y est à l’honneur dès l’entrée avec la victoire de Charles Terront sur le premier Paris-Brest et retour qui contribue à démontrer la supériorité des pneumatiques sur les bandes de caoutchouc plein. Les défis accompagnent les progrès : traversée de l’Himalaya en chenillette et casque colonial, franchissement de la barre des 100 kilomètres-heure – à une époque où l’on croyait que le corps humain ne survivrait pas au delà des 70 km/h – et autres premiers vols. Ces exploits conservent quelque chose de magique. Qu’est-ce qui a bien pu pousser un type à chercher à s’envoler à l’aide de ce qui n’est guère plus qu’une caisse en bois sur laquelle ont été tendues deux ailes taillées dans une vieille nappe ? L’homme est fascinant et Michelin s’est mis à son service. Le paternalisme est d’ailleurs de mise à Clermont où les conditions de vie de l’ouvrier s’améliorent.

Le progrès, c’est aussi les services et les cartes. Quand on y pense, il n’y a pas de perception plus immédiate du monde. Elles mériteraient un chapitre entier mais elles s’accompagnent du non moins célèbre Guide Rouge. Pour nous, ce n’est plus qu’un recueil de bonnes adresses, mais imaginez vous sur les routes de l’époque, avec votre manivelle et vos pneus de rien du tout, à devoir trouver de l’essence avant l’invention des stations services ou une auberge dont les spécialités ne vous colleraient pas la cliche pour trois semaines… Autre invention à laquelle on ne pense pas : la numérotation des routes. Pour l’obtenir, Michelin lance une pétition, obtient gain de cause et fournit les bornes kilométriques. Une forme de street marketing d’intérêt général, en somme. Nous nous arrêtons à cette dernière innovation car il est midi passé, mais surtout l’heure de rejoindre l’équipe de Victoire pour une pause déjeuner en selle.

Rouler à midi, c’est le fantasme du parigot. Quand il lui faut une demi heure de vélo pour rejoindre Longchamp, ici c’est en haut d’un petit col que l’on se retrouve dans le même laps de temps. En montant vers Berzet, je discute avec Olivier qui a déménagé de Toulouse pour un poste de cadreur. Mis à part son patron 100% auvergnat, tous ses collègues sont venus spécialement ici de Caen, Tournus, Caraix ou même l’Australie. Sa nouvelle vie ne lui déplait pas.

Nous profitons de l’après-midi pour découvrir l’Hôtel Fontfreyde. Le centre de photographie de la ville expose des séries d’artistes dans des pièces intimes et solennelle à la fois. Wiktoria Wojciechowska a les honneurs de l’exposition Dommages et Refuges. Le contraste entre les portraits de jeunes ukrainiens traumatisés par la guerre qu’ils ont dû mener et une imposante cheminée sculptée est saisissant.

Dans une autre salle, je discute avec un jeune couple branché qui instagramait une série de Rita Puig-Serra Costa. Ils viennent ici régulièrement, y passent par hasard en se baladant mais ne ratent aucune expo. Souvent, ils poursuivent au FRAC. Ce dernier est fermé. Nous nous consolons d’une promenade dans le vieux Clermont et ses échoppes d’artisans. L’un répare une guitare, d’autres sculptent ou trient des vinyles. Chaque vitrine met en avant l’affiche d’un pénis de Keith Haring vantant l’exposition du cinquantenaire de la Galerie Christiane Vallé. Nous finissons par tomber sur les lieux en question où, si les grands noms n’y garantissent pas la qualité ni l’unité des œuvres présentées, nous dégottons tout de même quelques belles lithos dans la réserve.

En ce mardi soir, le spectacle de la rue est tout aussi bigarré. En effet, Halloween semble avoir la cote à Clermont. Vampires et autres loups-garous sortent en bande des ruelles de pierre noire, quand ce n’est pas un mort en guenille qui file à roller. Côté bistrot, on n’a pas forcément besoin de se déguiser pour rentrer à l’Ecu d’Or. Comme le Dicken's la veille, ce rade fait partie d’un trio de choc pour tout pochetron qui se respecte. L’usage voudrait que nous commencions ici, poursuivions donc au Dicken's et espérions l’ouverture des rideaux du Chantilly presque en face. Nous y retrouvons Nicole qui était déjà là hier. J’ignore si le plus vieux métier du monde lui a laissé de quoi prendre une retraite méritée mais cela ne l’empêche pas de caresser le chien de la patronne que le patron menace de mettre au four. Le bar ferme tôt mais la véritable mauvaise nouvelle est que tous les restaurants sont complets. On nous avait recommandé l’AOC, nous avions songé à Lard et la Manière comme à La Gourmandine et même au Bougnat Burger après avoir trouvé Les Arcandiers fermés, mais en vain : cela nous apprendra à ne pas réserver dans une ville où les spécialités se méritent !

3e jour

La Toussaint est un jour férié, ce qui ne nous empêche pas de débaucher une nouvelle fois l’équipe de Victoire pour nous servir de guide. Faute d’avoir pu profiter des restaurants les plus intéressants de Clermont, nous décidons de procéder avec eux comme avec les meilleurs chefs : en leur laissant carte blanche !

L’entrée en matière est franche. L’Auvergne n’est pas une terre d’amuse-gueules et c’est très bien comme ça. Le cardio grimpe jusqu’au circuit de Charade. Nous nous réchauffons en moulinant mais la route est encore gelée par endroit. Nous doublons le Puy de Dôme et pilotons au fil des routes secondaires. Deux courtes portions de chemin testent la résistance de nos pneus. Le froid creuse l’appétit. Il n’y a pas grand-chose d’ouvert pour remplumer nos carcasses de grimpeurs, ce qui n’empêche pas le Col de Guéry de chercher à nous croquer. Nous passons entre ses deux canines, les roches Tulière et Sanadoire, aussi spectaculaires en bas que depuis le belvédère du col. Vient ensuite le lac de Guéry. Julien nous raconte qu’à la fin de l’hiver, les aficionados de pêche sous la glace s’y donnent rendez-vous pour un concours mémorable. La longue attente et le froid conduisent les participants à se réchauffer de quelques lampées d’antigel qui, alliées à la fonte naturelle de la glace sur les pourtours du lac, donnent lieu à de fréquents plongeons forcés en fin de journée. Un spectacle qu’il ne manquerait pour rien au monde !

Au Mont-Dore, nous tentons de trouver un restaurant où déjeuner. Comme à Clermont, tout est archi-complet. Après quatre ou cinq déconvenues, nous bricolons un pique-nique avec l’aide d’un vendeur de Saint-Nectaire des charmantes ruelles de la station thermale et partons avaler nos tartines devant le casino fermé. Était-ce bien raisonnable d’en profiter pour goûter les différentes variétés de saucisson et de poursuivre par une tarte ? La Croix-Saint-Robert est un col qui n’a rien d’un trou normand. Tant-pis, nous le monterons à notre rythme, en devisant par petits groupes. Sur ses hauteurs désertiques, nous mesurons notre chance d’être ici. Que l’Auvergne est dépaysante ! L’autre versant est célèbre pour sa course de côte. La descente sur ce bitume de compétition est comme un dessert, la vue sur le Lac Chambon une cerise sur le gâteau dont nous ne faisons qu’une bouchée. La suite n’est alors qu’un long pousse-café jusqu’au train du retour, un marc à la fois rond et charpenté, glissant comme la gentiane, avec un goût de revenez-y. Il en est ainsi de l’Auvergne et des Clermontois, qu’ils soient là depuis Vercingétorix ou depuis quinze jours. Merci.