ON A FÊTÉ LE BEAUJOLAIS NOUVEAU CHEZ PAULO CINQUIN

À son caveau !

Paulo Cinquin n’est pas content. Disons plutôt qu’il est déçu. Il a fallu qu’une panne d’électricité générale s’abatte sur le hameau des Braves pile le jour du Beaujolais Nouveau. Le manque de luminosité n’a jamais empêché de goûter les primeurs mais si l’on vient chez Paulo, ce n’est pas uniquement pour l’homme ou pour le vin, mais aussi pour son caveau dédié au cyclisme et ce dernier est dans le noir.

Paulo Cinquin est viticulteur à Régnié-Durette. Du moins, il l’était jusqu’à ce qu’il transmette le domaine familial à son fils Franck. Lui même l’avait reçu du sien, bien qu’il eût préféré être coureur.
A l’époque, Paulo pédale suffisamment pour être repéré par Jean de Gribaldy – directeur sportif puis patron d’équipe connu pour son flair – mais sa mère le préfère à la vigne. Il se console en exerçant parfois comme soigneur ou mécano, tisse un réseau de relations dans le milieu et côtoie les champions. Lorsque son ami Paul Gutty se retrouve paralysé après un accident de voiture, Paulo et sa bande se demandent ce qu’ils pourraient faire pour l’aider. Ils lancent Les Retrouvailles et tous les plus grands se pressent au départ de cette course amicale avant d’enchaîner les canons. Il y a là Anquetil et Poulidor pour ne citer qu’eux, mais également Merckx, Moser, Hinault, Thévenet ou encore Virenque au fil des éditions.

Faute de nous recevoir au caveau, Paulo nous accueille dans sa cuisine. «Prenez du saucisson !» nous somme-t-il en nous remplissant trois verres. Quelques amis sont déjà là, ou plutôt encore là puisque Paulo a du mal à les laisser filer. « Ça fait 17 ans que je le pratique » me dit l’un d’eux. Les verres se remplissent aussi vite qu’ils se vident. Repartir ? A quoi bon. Henri Sannier était là ce matin, mais c’est un autre Henri qui nous rejoint. Il ôte sa casquette, frotte sa moustache aux tanins et la lumière revient. « A son caveau ! » tonne Paulo. Nous suivons le maître des lieux et découvrons le saint des saints.

Chaque centimètre carré est recouvert d’un souvenir. On y trouve les maillots jaunes de Froome et d’Indurain, les rayures de champion du monde de Brochard, une dédicace d’Andy Schleck, les pois de Virenque ou un portrait de Contador et Paulo dans la presse. Une photo de groupe de la vingtième édition des Retrouvailles trône sous une plaque éponyme. On croirait un photomontage ou un résumé de l’histoire du cyclisme tant la concentration de champions est surréaliste.

Nous prenons place autour d’une table basse où trônent quelques cadavres de bouteilles et des assiettes de cochonnaille. Ici nul crachoir ni simagrées, on est là pour boire un coup, pas pour déguster en jouant les connaisseurs. Les barrières tombent. Nous débattons des chances de Tony Gallopin aux prochains championnats de France, mesurons l’ambition des jeunes générations d’amateurs – «c’est tous des constipés, mon Riquet» – et chantons les louanges de Philippe Gilbert au Ronde. De temps en temps, Paulo et Henri en reviennent aux affaires locales. « Il n’a jamais cassé un manche » disent-ils d’un élu trop prudent. « On lui a retiré le permis. Affreux ! Ceux-là, ils ont vraiment de la chance d'avoir un képi » embrayent-ils à propos d’une affaire de feu orange qui tirait sur le vert selon leurs dires mais virait au rouge selon les forces de l’ordre.

Ce qui inquiète Paulo, c’est que nous soyons là pour faire du vélo. Il trouve l’idée très mauvaise et préfèrerait que nous restions chez lui.

« J’ai les gars d’Étupes qui viennent demain. Il faut que vous les rencontriez ».

Il est vrai que la perspective de discuter avec les responsables du club qui a formé Pinot, Barguil ou Adam Yates est séduisante. Après une série de derniers verres, Paulo nous raccompagne à notre chambre d’hôtes. Nous pédalons de guingois dans le halo de ses phares.

À flanc de coteau

Le lendemain matin, le Beaujolais est embrumé mais nous nous levons sans peine malgré le marathon de la veille. La journée s’annonce comme un contre-la-montre, et ce littéralement puisque nous refaisons le parcours du chrono de Paris-Nice remporté par Julian Alaphilippe. Les nappes se dissipent à mesure que nous progressons sur le Mont Brouilly. La vigne façonne le paysage. Dans ce puzzle de parcelles, il n’y a pas de place pour les vaches. Arrivé à la chapelle, là où Julian s’était effondré sans savoir qu’il venait de gagner, nous n’avons d’autres choix que de filer. Paulo a déjà appelé et se demande pourquoi nous ne sommes pas encore au caveau.

Le parcours nous mène à Vaux-en-Beaujolais, un village rendu si célèbre par le roman Clochemerle qu’il porte désormais les deux noms à l’état civil. Le fil rouge du bouquin ? Une histoire de pissotière qui entraîne des querelles burlesques entre les partis de la commune. La vespasienne est bien là, mais malheureusement cadenassée. Nous nous sommes retenus pour rien, au grand dam des objectifs d’un groupe de touristes qui passe par là.

Clochemerle est une sorte de dernier vestige de la civilisation avant une série de petits cols en pente douce. Un véritable paradis cycliste mis en valeur par les couleurs automnales. La brume est totalement dispersée et il est parfois difficile de se prêter au jeu des photos tant les conditions sont réunies pour une belle partie de manivelles.

Nouveau coup de fil de Paulo qui nous attend désormais au restaurant. C’est l’occasion de prendre une leçon de descente, sans mauvais jeu de mot. Nous dévalons les coteaux en rêvant de nous installer dans les petits châteaux qui ponctuent les domaines.

A l’Auberge Vigneronne, Paulo est attablé dans la grande salle. Malgré la dizaine de convives, il nous a réservé trois places à ses côtés et nous présente à Jean-Pierre Douçot, directeur sportif au sein du CC Étupes. Quand Paulo donnait tout pour ses Retrouvailles, lui s’appliquait à repérer les espoirs pour en faire des professionnels. Deux vies offertes et des décennies de bénévolats par amour du haut niveau.

Après nous avoir poussé à revoir nos ambitions cyclistes à la baisse, Paulo profite du repas pour nous encourager à annuler notre retour et rester jusqu’au soir. La seconde bouteille achève de nous convaincre et nous retournons tous ensemble au caveau où quelques jeunes sont de passage. Les flacons de Régnié défilent à nouveau et Jean-Luc passe une tête. Paulo offre un verre à son ancien ouvrier qu’il taquine sans ménagement. Jean-Luc hausse les épaules.

«Je suis IBM. Intelligent, beau et modeste. On est à l’époque des ordinateurs. Il faut bien s’adapter.»

Peu adepte des nouvelles technologies, Paulo appelle le maire de Saint-Lager pour m’obtenir le temps d’Alaphilippe au chrono que nous avons refait. Il me tend un bout de papier sur lequel il précise que 7 minutes et 10 secondes ont été chronométrées « depuis le cimetière » comme on préciserait « par la face Nord ».

Tel Gérard Depardieu, Paulo Cinquin est une personnalité complexe, fine et gargantuesque à la fois. Difficile de le décrire physiquement tant sa physionomie change à mesure que son regard bleu s’éclaire, que sa voix de stentor part en trille et que son visage s’illumine d’un sourire.
Le caveau est à l’image de l’homme. Ce n’est pas un musée mais une foule de souvenirs, de jalons d’une vie de passion. Quand je quitte quelqu’un comme Paulo, j’ai toujours peur que ce type de nature disparaisse et ne laisse nul successeur dans un monde agité où l’on s’affute pour rien, où l’on pédale sans rêver plus haut, ne serait-ce que d’un baiser de Miss Clochemerle.

INFOS PRATIQUES & BONNES ADRESSES

Pour nous rendre à Régnié-Durette, au Domaine des Braves de la famille Cinquin, nous avons pris un train Paris - Mâcon-Loché (1h35) et effectué le reste du trajet à vélo (environ 1h) strava.com/activities/1278618817

Paulo nous avais recommandé de loger dans le hameau voisin au Domaine des Bois où nous avons été très bien accueillis par Marie-Hélène Labruyère. Cette dernière nous a conseillé de déjeuner à côté, au restaurant Le Morgon, sur la colline du même nom, où nous avons pu déguster un menu essentiellement local (sublime andouillette à la fraise de veau de la Boucherie Lopes, servie en feuilleté avec une sauce à l’Epoisse).

Le soir, nous avons poursuivi dans le même registre au Buffet de la Gare à Belleville-sur-Saône. Là aussi, excellente surprise avec un gratin d’andouillette Bobosse et un intéressant Beaujolais-Villages du “biosophiste” Romuald Valot . Le lendemain, nous avons rejoint Paulo autour d’un saucisson brioché à l’Auberge Vigneronne, ce qui nous a permis de découvrir l’église de Régnié-Durette dessinée par Pierre Bossan, qui réalisa ensuite la basilique de Fourvière à Lyon. Domaine des Bois